23/03/2017

Le garage comme mythe fondateur

Les start-ups ne naissent pas dans des garages de banlieue, mais plutôt entre les murs d’entreprises incapables de faire place aux nouvelles idées.

Nombre de grandes entreprises technologiques seraient nées dans un garage. Ces débuts modestes forcent à l’innovation et enrichissent la créativité. C’est le chemin habituel des entrepreneurs… non? Pourtant, moins d’une entreprise sur trois a réellement vu le jour dans un garage, un sous-sol ou une résidence privée. Est-ce que les marques enjolivent leurs débuts modestes pour entretenir leur image?

De Hewlet-Packard à Amazon, de Apple à Microsoft, de Disney à Mattel, de nombreuses compagnies semblent partager un même lieu de naissance: le garage de la maison. C’est devenu la métaphore narrative des origines modestes. C’est la version californienne du «Il était une fois un enfant pauvre…» et une carte de visite pour le rêve américain. Les débuts humbles servent aussi la rhétorique de l’entrepreneur plus grand que nature. Au Québec aussi, on aime les histoires de débuts modestes: Guy Laliberté crachant du feu à Baie-St-Paul, Péladeau père empruntant 1500 $ à sa mère pour acheter sa première publication, ou le premier restaurant St-Hubert sur la rue Saint-Hubert.

Le berceau des marques de luxe qui se sont imposées au siècle dernier, c’est l’atelier. Il représente le savoir-faire, la culture artisanale et un gage de qualité. Aujourd’hui, les entreprises technos préfèrent le stationnement intérieur de la maison familiale (comme Apple et Microsoft) ou les dortoirs universitaires (Facebook à Harvard, Snapchat à Stanford), incarnation de leur inventivité et de leur audace. Le lieu de naissance modeste de l’entreprise devient un miroir de ses valeurs. C’est le mythe fondateur. Et justement, il s’agirait plus souvent d’un mythe que de la réalité — une histoire un peu trop belle pour être vraie.

Le cofondateur d’Apple, Steve Wozniak, l’admet: la naissance d’Apple dans le garage du 2066 Crist Drive a été enjolivée. Dans une entrevue accordée à Bloomberg, en 2014, il mentionne qu’aucun design ou prototypage n’ont été effectués chez les Jobs. Faire du garage familial de ses parents le berceau d’Apple contribuerait sans doute à légitimer la paternité de Steve Jobs sur l’ordinateur qu’il n’a pas construit.

Pour ne pas être en reste, Google a revisité ses origines. Déterré à l’occasion de son 15e anniversaire, le garage du 232 Santa Margarita, Menlo Park, a été présenté aux journalistes comme le berceau de l’entreprise. Pourtant, les fondateurs Larry Page et Sergey Brin ont plutôt amorcé leur travail sur le moteur de recherche à l’université Stanford. La jeune pousse a emménagé dans le garage plus d’un an plus tard, avec un million de dollars en capital-risque en poche. Comme début modeste, on a vu pire. Google a occupé le garage de banlieue pendant seulement cinq mois, mais a tout de même choisi d’en faire un des lieux de culte de la marque.

Le mythe du garage, c’est aussi une campagne d’image pour l’entrepreneur rebelle, iconoclaste et inadapté à la culture d’affaires. Pourtant, 90%90 % des start-ups financées par du capital-risque ont des fondateurs avec une expérience professionnelle dans le même secteur d’activité. Les entrepreneurs à succès sont le produit de la culture corporative dans laquelle ils évoluaient auparavant. Les fondateurs de Youtube avaient fait leurs dents chez PayPal, tout comme Elon Musk, le PDG de Tesla. Même Jobs et Wozniak travaillaient pour Atari et HP.

Les entreprises innovatrices ne naissent pas dans des garages, elles éclosent plutôt entre les murs de leaders technologiques incapables de faire place aux nouvelles idées.

Mais si elles sont fausses, pourquoi les marques entretiennent-elles des histoires légendaires sur leurs origines ? Parce que personne n’admire les entrepreneurs soutenus par de riches investisseurs. Parce que les garages véhiculent mieux l’innovation que les restaurants chics où on soupe avec les banquiers. Mais aussi parce que l’adversité des débuts modestes, le grand saut vers l’inconnu et la prise de risque financier servent à justifier, pour plusieurs, la richesse indécente des fondateurs de certaines grandes entreprises.

Article originalement publié dans L’actualité.

Image tirée de Wikimedia Commons

Stéphane Mailhiot
Stéphane Mailhiot
Vice-président, stratégie 
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